Les médecines chinoises s’infiltrent à l’hôpital
Les médecines chinoises s’infiltrent à l’hôpital
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Cela fait des années que Sabine (le prénom a été changé) a des vertiges. Elle est pour cela suivie dans le service d’otho-rhino-laryngologie (ORL) du professeur Georges Lamas à l’hôpital parisien de La Pitié-Salpêtrière. Après deux séances de shiatsu, la sensation de « tête flottante » qui l’incommode a disparu. Le shiatsu, littéralement « pression des doigts », est une technique d’origine japonaise. C’est une médecine énergétique qui vise à rétablir l’harmonie du corps en agissant sur les méridiens, selon les principes de la médecine traditionnelle chinoise.
Sabine fait partie de la trentaine de patients de ce service à avoir suivi des séances de shiatsu. « Cette pratique vise à apporter un complément, voire un réconfort aux patients qui sont en souffrance. La rééducation classique ne soigne pas tous les symptômes : acouphènes, raideurs de la nuque, stress », explique Sophie Jamet, infirmière diplômée en rééducation vestibulaire, à l’origine du projet, qui a démarré il y a un an.
Les patients ont droit à trois séances gratuites, puis trois dans un dispensaire proche. Parallèlement, une fois par mois, des massages sont proposés au personnel. La prochaine étape serait d’évaluer scientifiquement ces données, indique Céline Kilhoffer, cadre de santé. Si les bienfaits du shiatsu sont réels, il reste à les évaluer.
Une étude, en cours d’écriture de procédure, sur l’apport du shiatsu pour atténuer la fatigue liée à certaines pathologies neurologiques comme la sclérose en plaques (SEP), la maladie de Parkinson ou la sclérose latérale amyotrophique (SLA), devrait démarrer au second semestre 2012 dans le cadre d’un programme hospitalier de recherche clinique (PHRC), à l’initiative du docteur Nadine Le Forestier, neurologue à La Pitié-Salpêtrière.
« Cette pratique, qui se veut complémentaire des traitements au long cours, ne pourra être introduite que si elle est officialisée par une recherche thérapeutique rigoureuse », explique le docteur Le Forestier. L’idée est née lorsque ce médecin a reçu un courrier de la fille d’une de ses patientes, décédée. « Cette femme, atteinte de SLA, a vu ses douleurs atténuées par le shiatsu et a eu une fin de vie plus paisible », précise Bernard Bouheret, praticien et enseignant de shiatsu depuis trente ans. L’expérience est également positive pour les parents d’enfants adoptés. Le pédiatre Frédéric Sorge proposait, lorsqu’il était à Saint-Vincent-de-Paul, d’apprendre aux parents adoptifs à toucher leurs enfants avec la technique du shiatsu. Il souhaite poursuivre l’expérience à l’hôpital Necker.
Le shiatsu fait partie des nombreux traitements complémentaires qui font leur entrée dans les hôpitaux. Une vingtaine de services des hôpitaux de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) intègrent la médecine chinoise, médecine ancestrale. Elle recouvre quatre grandes disciplines : la pharmacopée, l’acupuncture, les massages thérapeutiques (tui na, shiatsu), et les pratiques psycho-corporelles (qi gong et tai-chi).
L’acupuncture est par exemple utilisée pour traiter la douleur en obstétrique ou en gynécologie notamment. Le qi gong est proposé aux personnes obèses dans le service de nutrition de la Pitié de Jean-Michel Oppert.
« Notre but est d’identifier quels traitements peuvent être efficaces en intégrant la médecine chinoise à la prise en charge conventionnelle », souligne le Dr Catherine Viens-Bitker, chargée de cette question à la direction de la politique médicale de l’AP-HP. « Cela peut être très utile en prévention secondaire des maladies chroniques, poursuit-elle. J’ai suivi une femme atteinte d’un cancer du sein en chimiothérapie. Elle avait des picotements très forts au bout des doigts, de fortes douleurs dans les mains, et perdait ses ongles. Après une séance de shiatsu et de l’acupuncture, la douleur a disparu, les picotements sont devenus gérables et elle n’a plus perdu ses ongles », explique Maxime Rigobert, praticien de shiatsu.
« 50 % des patients en oncologie et 75 % des personnes souffrant d’une maladie chronique ont recours à des médecines complémentaires. Elles ont de bons effets, sont sans toxicité majeure et coûtent moins cher », explique le professeur Jean-Raymond Attali, de la Fédération mondiale des sociétés de médecine chinoise (WFCMS). « Le shiatsu atténue les effets de la chimiothérapie, comme la fatigue ou les nausées », explique Bernard Bouheret. « L’usage montre que cela marche. Il faut maintenant mettre en évidence cette efficacité », ajoute le Dr Viens-Bitker.
Neuf projets de recherche ont été retenus dans le PHRC d’Ile-de-France, qui en compte 900. Un colloque sur la médecine chinoise en milieu hospitalo-universitaire s’est tenu le 16 septembre à La Pitié-Salpêtrière. Les médecines dites complémentaires constituent en outre l’un des points du plan stratégique 2010-2014 de l’AP-HP. « Le but est de faire de ces thérapies des actes du quotidien, pour la santé de nos patients », a affirmé Mireille Faugère, directrice générale de l’AP-HP, lors de ce colloque.
Les réticences restent fortes. Le professeur André Grimaldi, diabétologue, a vivement raillé ce colloque. « Notre rôle est d’avancer dans la connaissance de ces médecines, sans a priori », concède le docteur Catherine Viens-Bitker. Malgré les freins, le mouvement est lancé.
Pascale Santi
Article paru dans l’édition du 12.10.11
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