Nouvelles récentes sur la recherche en SEP (Canada)
Une étude phare financée par la Fondation pour la recherche scientifique sur la SEP montre que la « reconstitution » du système immunitaire stoppe l’activité de la maladie et favorise une rémission chez les personnes présentant une forme de sclérose en plaques à évolution rapide
Contexte
Actuellement, les médicaments modificateurs de l’évolution de la SEP (MMÉSP) homologués pour le traitement de la sclérose en plaques (SEP) semblent freiner la réponse auto-immune nocive dirigée contre les tissus du système nerveux central (SNC). De nombreuses personnes qui vivent avec la SEP bénéficient des effets mesurables de ces médicaments qui peuvent, par exemple, diminuer la fréquence des poussées et, dans certains tant une SEP à évolution rapide, les attaques au cas, ralentir l’accumulation des incapacités.
Cela dit, chez les personnes présento-immunes, les poussées et les incapacités peuvent persister malgré le recours aux médicaments traditionnels. Les chercheurs se sont donc demandé s’il ne serait pas possible de venir à bout de cette maladie en appuyant sur le bouton « réinitialiser » pour effacer complètement les éléments du système immunitaire à l’origine de la maladie et remplacer celui-ci par un système immunitaire capable de combattre l’infection et de préserver l’intégrité du SNC.
Pour creuser la question, la Fondation pour la recherche scientifique sur la SP (FRSSP) a subventionné en 2000 un essai clinique multicentrique mené par les Drs Mark Freedman et Harry Atkins, de l’Institut de recherche de l’Hôpital d’Ottawa, dans le but d’étudier l’efficacité potentielle d’un traitement visant à remplacer le système immunitaire déficient par un système qui tolérerait bien les tissus de son hôte dans le contexte de la SEP. Cette procédure, définie comme l’immunosuppression suivie d’une greffe de cellules souches hématopoïétiques autologues (IGCSHA), est d’usage courant dans le traitement de certains types de cancer du sang comme le lymphome.
L’essai canadien sur la greffe de moelle osseuse (GMO) consistait à prélever des cellules souches hématopoïétiques (cellules donnant naissance à des cellules du sang) de la moelle osseuse des participants, à soumettre ces derniers à une chimiothérapie à forte dose pour anéantir leur système immunitaire défectueux, puis à leur réinjecter les cellules souches préalablement prélevées afin de faire démarrer un tout nouveau système immunitaire. Un suivi a été effectué sur une longue période afin de voir si cette procédure pouvait apporter des bienfaits prolongés.
Selon les résultats de l’essai sur la GMO, publiés cette semaine dans la prestigieuse revue The Lancet, la reconstitution du système immunitaire par l’IGCSHA a permis de maîtriser l’inflammation du cerveau chez les participants qui ont suivi le traitement jusqu’au bout, et, dans certains cas, elle a mené à l’atténuation substantielle et prolongée de certaines incapacités liées à la SEP.
Description de l’étude
Cet essai clinique de phase II, multicentrique et à bras unique (sans répartition aléatoire) regroupait 24 personnes présentant une SEP à forte activité inflammatoire, c’est-à-dire une forme caractérisée par une fréquence élevée de poussées et une piètre réponse aux MMÉSP. Les participants montraient également des signes précoces d’incapacités persistantes évoluant rapidement. Le prélèvement de cellules souches consistait d’abord à amener des cellules souches hématopoïétiques des participants à quitter la moelle osseuse pour circuler dans le sang, puis à les recueillir et à les emmagasiner. Les chercheurs se sont assuré que l’échantillon final ne contiendrait que des cellules souches immatures non programmées pour cibler la myéline.
Les participants ont été soumis à une chimiothérapie à forte dose, sous étroite surveillance médicale, dans le but d’éliminer leur système immunitaire déficient. Deux jours après ce traitement, ils ont reçu par perfusion leurs propres cellules souches (procédure appelée greffe autologue) afin de permettre la production de nouvelles cellules immunitaires à l’intérieur de la moelle osseuse.
Les participants ont fait l’objet d’un suivi durant une période allant de 4 à 13 ans après l’IGCSHA, à la suite de quoi les degrés d’activité de la maladie relevés avant et après le traitement ont été comparés. Au cours de la période de suivi, les chercheurs ont évalué les changements survenus sur le plan de l’incapacité, au moyen de l’Échelle élaborée des incapacités (EDSS). Ils ont aussi dénombré et mesuré les lésions cérébrales inflammatoires, évalué les modifications du volume du cerveau à l’aide de l’imagerie par résonance magnétique (IRM) et surveillé l’apparition de tout effet indésirable chez les participants. Le premier paramètre d’évaluation (principal résultat recherché et mesuré par les chercheurs) était l’inactivité de la SEP (absence de poussée et de progression des lésions cérébrales et des incapacités) durant trois ans.
Résultats
L’IGCSHA a permis de stopper complètement l’activité clinique de la maladie (plus précisément, aucune poussée n’a été observée) chez 23 participants durant toute la période de suivi, ce qui s’est avéré une amélioration spectaculaire comparativement au degré d’activité de la maladie relevé avant le traitement. Qui plus est, les chercheurs n’ont décelé aucune nouvelle lésion cérébrale sur les clichés d’IRM de tous les participants, et bien que le taux d’atrophie cérébrale ait augmenté au cours des six premiers mois suivant la procédure, il a ensuite diminué et s’est stabilisé chez l’ensemble du groupe.
Les chercheurs ont constaté que 70 % des participants à l’essai n’ont montré aucun signe de progression des incapacités au cours de la période de suivi prolongée, et qu’environ 40 % du groupe a présenté un rétablissement fonctionnel inattendu, soit un accroissement de la force musculaire et une amélioration de la coordination des mouvements. Enfin, certains participants ont obtenu de meilleurs résultats quant à diverses mesures du bien-être social; par exemple, 37 % d’entre eux, qui recevaient des prestations d’assurance invalidité, n’ont plus eu besoin de cette aide et ont pu retourner sur le marché du travail ou reprendre leurs études, 31 % se sont mariés ou fiancés, et l’une des participantes a donné naissance à un enfant.
Par ailleurs, un participant est décédé des suites de complications associées à une insuffisance hépatique, environ deux mois après avoir subi une IGCSHA – comme il avait suivi le traitement en entier, son décès a été pris en compte dans l’analyse finale des résultats. Un autre participant a dû être hospitalisé aux soins intensifs en raison des effets toxiques de la chimiothérapie, mais il s’est finalement rétabli. De plus, certains participants ont contracté des infections virales prévisibles après la greffe et s’en sont remis.
Commentaires
Le recours à l’IGCSHA pour le traitement des cas de SP à forte activité inflammatoire et à évolution rapide s’avérait une approche relativement nouvelle lorsque les Drs Freedman et Atkins ont fait leur demande de subvention à la FRSSP en 2000.
Quelques années plus tard, leurs travaux ont ouvert la voie à la mise en place d’autres études dans ce domaine sur le plan international. L’essai HALT-MS, par exemple, a révélé que chez 78 % des participants, la maladie avait été inactive durant plus de trois ans après l’administration d’un traitement semblable à l’IGCSHA.
Soulignons que l’essai canadien sur la GMO est le premier à avoir permis de contrer l’activité inflammatoire de la maladie chez tous les participants ayant été soumis à la procédure entière, durant une période pouvant aller jusqu’à 13 ans après le traitement. Fait inattendu, cette intervention a stoppé la progression des incapacités et a mené à un rétablissement fonctionnel prolongé chez un grand nombre de participants.
Par ailleurs, les chercheurs font une distinction entre l’essai canadien sur la GMO et les autres essais du genre, soulignant que leur protocole prévoyait une chimiothérapie à plus forte dose que ces derniers, qui a entièrement éliminé le système immunitaire et a apporté, selon eux, des bienfaits immenses et durables.
Des études postérieures à cet essai canadien ont éclairé les mécanismes cellulaires à l’origine des améliorations importantes observées chez les participants. Mentionnons à ce chapitre l’étude immunologique menée par le Dr Amit Bar-Or (Institut et hôpital neurologiques de Montréal), qui en a publié les résultats. Cette étude a montré que l’absence de cellules Th17 dans le système immunitaire reconstitué des patients soumis à une IGCSHA permettait de relier cette sous-population particulière de cellules T à la réponse auto-immune observée dans le contexte de la SEP. En outre, une étude d’imagerie dont les résultats ont été publiés par le Dr Douglas Arnold (Institut et hôpital neurologiques de Montréal) a permis d’évaluer les degrés de démyélinisation et de remyélinisation chez les participants. Cette étude de suivi a permis d’en savoir plus sur les mécanismes sous-tendant la réussite de la procédure.
Les résultats de l’essai jettent aussi de la lumière sur d’importantes questions liées à l’apparition de la SEP. En effet, le traitement consistant en l’élimination du système immunitaire défectueux, à l’origine du déclenchement de la maladie, et en la reconstitution d’un système immunitaire sain a permis de stopper l’activité de la maladie durant une longue période, ce qui milite fortement en faveur de l’hypothèse voulant que la SEP soit attribuable à un dérèglement du système immunitaire. Les résultats de cette étude soulèvent donc un doute sur d’autres hypothèses selon lesquelles le dérèglement du système immunitaire serait secondaire à la SEP ou que celle-ci découlerait d’un dysfonctionnement d’ordre génétique.
Bien que les conclusions de cette étude soient extrêmement encourageantes, les auteurs prônent la prudence, rappelant que la procédure en question comporte des risques importants associés à l’utilisation d’agents chimiothérapeutiques puissants. Cette intervention est donc réservée aux personnes qui présentent une forme de SEP à forte activité inflammatoire et qui ne répondent pas aux médicaments modificateurs de l’évolution de la SEP.
Par ailleurs, l’efficacité de ce traitement n’a pas encore été établie chez les personnes qui présentent depuis longtemps un taux élevé d’incapacités liées à la SEP ou chez qui on constate un faible degré d’inflammation dans le système nerveux central ou qui présentent ces deux caractéristiques. Il n’en demeure pas moins que les résultats qui ont été publiés contribuent grandement à l’approfondissement des connaissances sur les bienfaits de l’IGCSHA pour un groupe particulier de personnes qui vivent avec la SEP.
Source
ATKINS, H.L. et coll. « Immunoablation and autologous haemopoietic stem-cell transplantation for aggressive multiple sclerosis: a multicentre single-group phase 2 trial », The Lancet, 2016 [publication électronique avant impression].