Voir le cerveau jusqu’à la glie
Elles sont indispensables au bon fonctionnement des neurones et leur dysfonctionnement peut entraîner des pathologies. Les cellules gliales sont pourtant encore négligées par la recherche. Plongée dans la glie à l’occasion de la Semaine du cerveau, qui se tient jusqu’au 18 mars
Invariablement, lorsque l’on parle du cerveau, ce sont toujours les neurones qui attirent toute notre attention. Pourtant, ces derniers ne seraient rien sans les cellules gliales qui les stimulent, les nourrissent et les protègent. Longtemps négligée, la glie – ces quelque 150 milliards de cellules qui entourent nos 100 milliards de neurones – semble aujourd’hui acquérir progressivement ses lettres de noblesse.
Une reconnaissance encore timide, mais amplement méritée au vu de son rôle fondamental. Car comprendre les cellules gliales permettrait non seulement de mieux cerner le fonctionnement de notre cerveau et l’essence de nos comportements, mais également d’appréhender de manière plus nette les mécanismes à l’œuvre dans certaines affections du système nerveux, comme la dépression, la maladie d’Alzheimer, ou encore Parkinson.
Une dimension insuffisamment prise en compte
«Les cellules gliales sont des contributeurs essentiels aux pathologies neuronales, leur rôle pour trouver de nouveaux médicaments ne doit donc plus être négligé», appuie Pierre Magistretti, professeur à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne et au Département de psychiatrie du CHUV, pionnier dans la recherche sur la glie et coauteur, avec le neurologue Yves Agid, de L’Homme glial, une révolution dans les sciences du cerveau, paru en février aux Editions Odile Jacob.
«L’industrie pharmaceutique a investi des milliards dans des essais thérapeutiques pour soigner des maladies neurologiques et psychiatriques, sans succès. Ces échecs sont peut-être liés au fait que la dimension gliale de ces affections n’était pas suffisamment prise en compte. Cette approche totalement neurocentrée nous a sans doute fait passer à côté de découvertes intéressantes», poursuit le scientifique.
Rôle dans la maladie d’Alzheimer
Arborant une forme d’étoile dont ils tirent leur nom, les astrocytes – qui composent la glie à côté des oligodendrocytes et de la microglie – sont pour l’heure les cellules gliales sur lesquelles les chercheurs possèdent le plus de connaissances. Le dysfonctionnement de ces cellules aurait une incidence majeure sur le processus de mort neuronale. Les astrocytes pourraient par ailleurs avoir un rôle important dans la maladie d’Alzheimer, de par leur habilité à capter puis dégrader les protéines bêta-amyloïdes caractéristiques de la maladie.
Problème: à force d’ingurgiter ces protéines pathologiques, les astrocytes perdent progressivement leur capacité à fournir aux neurones le soutien métabolique dont ils ont besoin. Privés d’énergie, les neurones se mettent à dégénérer.
«Il faut également savoir que seuls les astrocytes produisent une molécule, l’ApoE, jouant un rôle capital dans le déclenchement de la maladie d’Alzheimer, ajoute Pierre Magistretti. Lorsqu’un sujet est porteur d’une des formes d’ApoE, l’ApoE4, il a huit fois plus de risques de développer cette maladie qu’un sujet porteur d’une autre forme de cette molécule. C’est dire leur importance dans la genèse de cette maladie.»
Sclérose en plaques et affections rares
Les astrocytes ne sont toutefois pas les seules responsables dans l’apparition de pathologies du système nerveux. C’est également le cas des oligodendrocytes et des cellules de Schwann, que l’on retrouve dans le cerveau, la moelle épinière, mais aussi dans la plupart des nerfs qui parcourent notre corps. Ces cellules ont pour principale fonction de former, à l’aide de lipides, la gaine de myéline qui isole et protège les fibres nerveuses.
En cas d’atteinte des oligodendrocytes ou des cellules de Schwann, les neurones courent le risque de ne plus bénéficier du soutien de cette gaine, ce qui a pour conséquence de perturber la propagation des influx nerveux. Diverses maladies peuvent alors survenir, telles que la sclérose en plaques, des neuropathies ou encore des troubles cognitifs.
Des expériences ont démontré que si l’on transplantait des cellules gliales humaines dans un cerveau de rat, celui-ci avait des performances cognitives supérieures à celles de ses congénères
Dans une recherche récente, une équipe menée par Laura Montani, de l’Institut des sciences médicales moléculaires de l’Ecole polytechnique de Zurich, a démontré que les cellules de Schwann produisaient environ la moitié des lipides indispensables à la formation de la myéline, grâce à une enzyme spécifique, dont l’absence pouvait conduire à des dysfonctionnements du système nerveux. «Je pensais bien que ces enzymes étaient importantes, mais je ne m’attendais pas à ce que leur rôle soit aussi fondamental. Nous souhaitons à présent étudier si ces dernières ont également une fonction dans l’apparition de certaines maladies infantiles rares», détaille la chercheuse.
Transplantation dans un cerveau de rat
Grâce à des méthodes d’analyse par fluorescence, on sait désormais que les cellules gliales n’ont pas uniquement le rôle de «ménagères» dont on les a longtemps affublées. Certes la glie a pour but d’apporter les nutriments nécessaires aux neurones et d’éliminer leurs déchets. Mais il s’avère que les astrocytes libèrent également des neurotransmetteurs leur permettant de communiquer avec les neurones, mais aussi de moduler leur activité. De ce fait, il semble désormais évident que les cellules gliales jouent un rôle dans la production de nos comportements.
La glie est également cruciale dans l’apprentissage et la mémoire, dont il a récemment été démontré que la consolidation passait nécessairement par un transfert de molécules, les lactates, entre astrocytes et neurones. Des expériences décrites en 2007 dans la revue Science ont aussi démontré que si l’on transplantait des cellules gliales humaines dans un cerveau de rat, celui-ci avait des performances cognitives supérieures à celles de ses congénères.
L’âge de sa glie
Il semblerait enfin, contre toute attente, que notre cerveau n’ait pas l’âge de ses neurones, mais bien plutôt l’âge de sa glie. Une étude publiée en janvier 2017 par l’University College de Londres a en effet découvert que, si la quantité de neurones restait relativement stable avec le vieillissement, le nombre d’olygodendrocytes, lui, diminuait avec l’âge dans le cortex préfrontal – une zone du cerveau impliquée dans la mémoire de travail, le langage ou encore le raisonnement – et que cette raréfaction contribuait au déclin des performances cognitives.
«Les gènes exprimés dans les cellules gliales permettent de prédire l’âge du cerveau avec une plus grande précision que les gènes spécifiques aux neurones, écrit Lilach Soreq, auteure principale. Cela souligne la nécessité de mieux comprendre les mécanismes d’interactions neurones-glie dans les maladies liées au vieillissement.» De quoi donner encore un peu plus d’importance aux cellules gliales…