Comment l’ARN messager pourrait révolutionner la médecine (notamment dans la SEP)

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L’ARN messager a prouvé son efficacité contre le Covid-19. Demain, il pourrait être exploité contre les maladies cardiaques, auto-immunes, génétiques, ainsi que les cancers.

Chez l’animal, BioNTech a obtenu des résultats encourageants dans le traitement de la sclérose en plaques.

Après le succès éclatant des vaccins contre le Covid, l’ARN peut-il devenir un instrument central de notre panoplie thérapeutique ? Va-t-il révolutionner nos vaccins et nos traitements ?

L’ARN messager, médiatisé à l’occasion du Covid, semble avoir surgi comme le lapin du chapeau d’un prestidigitateur pour aboutir, moins d’un an après, à des vaccins très efficaces. En réalité, il n’y a aucune magie là-dedans. Si tout est allé si vite, c’est qu’un énorme travail avait déjà été réalisé en amont. L’ARN suscite l’intérêt depuis longtemps. Il y a eu l’ARN « antisens », avec des biotechs comme Hybridon ou Ionis Pharmaceuticals, puis l’ARN « interférent » avec Alnylam. Mais l’ARN messager est le seul, aujourd’hui, à avoir remporté un tel succès applicatif. Il est l’objet de travaux de recherche depuis un quart de siècle, et de développements cliniques depuis une dizaine d’années.

Pour les vaccins contre le Covid-19, cet ARN ou « acide ribonucléique » est complété d’un « m », abréviation de « messager ». Il est en effet porteur du « message » issu de l’ADN, permettant de faire produire par la cellule les protéines dont elle a besoin. Dans le cas du vaccin contre le Covid-19, on détourne notre propre machinerie cellulaire pour lui faire fabriquer, à partir du fragment d’ARN viral correspondant, la fameuse protéine Spike. Avec un vaccin ARN, c’est donc le « message » ou la « recette » qu’on injecte et non le produit fini, sous forme de protéines, comme c’est le cas des vaccins habituels.

Sans le Covid-19, et les milliards d’argent public qui ont permis d’achever le développement de cette technologie en accéléré, elle aurait eu beaucoup plus de mal à émerger.

Maladies infectieuses

Car l’ARN a donné du fil à retordre à ceux qui ont voulu l’utiliser. C’est une molécule qui se dégrade facilement. Les chimistes ont réalisé de nombreux travaux (modifications ou ajout d’éléments, comme des enzymes, aux extrémités de la séquence d’ARN, etc.) avant de la stabiliser. En outre, il s’agit de molécules dix fois plus grosses que les protéines des vaccins traditionnels et aisément détruites par le système immunitaire. Il fallait donc leur trouver un « emballage » qui leur permette d’arriver à bon port (dans le cytoplasme de la cellule) sans être éliminées en chemin.

Comment l’ARN est devenu l’un des plus grands espoirs de la médecine

« C’est la mise au point en 2013 des nanoparticules lipidiques qui a vraiment changé la donne », explique Stephen Hoge, président de Moderna. Elle a débouché sur une première administration à l’homme lors de la pandémie de grippe de 2015, puis sur un essai clinique contre l’épidémie de Zika en 2016. « Ce n’est pas difficile de produire de l’ARN, commente un autre spécialiste des biotechnologies, la création de valeur réside dans les techniques de stabilisation et d’administration. » C’est d’ailleurs l’objet des brevets sur lesquels se sont appuyés les Moderna et autre BioNTech pour mettre au point leurs vaccins.

Le succès de ces vaccins contre le Covid-19 est-il transposable à d’autres maladies infectieuses ? Le PDG de Moderna, Stéphane Bancel se dit logiquement confiant. « Avec le Covid, nous avons apporté la preuve que la technologie est sûre et efficace pour la vaccination, et grâce à notre essai clinique de phase II contre le cytomégalovirus (responsable de malformations congénitales), nous savons que mélanger jusqu’à six ARN est sans danger et efficace », explique-t-il.
Efficacité contre la grippe

Un optimisme qui n’est pas partagé par tous. Pour Jamila Louahed, directrice de la R&D de GSK, il n’est pas certain que les cocktails d’ARNm soient l’idéal en toutes circonstances. « On sait bien que dans les vaccins multivalents (contre différentes souches) classiques, il n’est pas si simple d’associer plusieurs antigènes protéiques dans un même produit. Certains ont tendance à prendre le pas sur d’autres. » Quand le mélange n’a pas, comme Sanofi en a fait l’expérience avec la Dengue, un effet facilitateur de l’infection et non protecteur. En clair, on a eu beaucoup de chance avec le Covid.

Et puis, une technologie n’émerge jamais dans un paysage totalement neuf. Les grandes maladies infectieuses connues sont déjà largement dotées de vaccins éprouvés et efficaces, et celles qui ne le sont pas sont peu attractives.

 

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L’ARNm, en revanche, pourrait améliorer certains vaccins existants, à commencer par celui contre la grippe, qui ne protège en moyenne qu’à hauteur de 50 % et particulièrement mal les plus âgés, qui en ont le plus besoin. En cause, une mauvaise adaptation des vaccins aux différentes souches du virus. « En effet, explique Ben Cowling de l’université de Hong Kong, la plupart des vaccins contre la grippe sont cultivés sur des oeufs mais pour cela ils doivent s’adapter. En outre, le processus de production, qui dure neuf mois, donne au virus le temps de muter en circulant. » Si bien que, lorsque le vaccin est prêt, le virus qui circule peut être assez différent de celui dont les antigènes sont dans le vaccin.

« Grâce à la rapidité de développement des vaccins ARNm, on pourrait avoir un vaccin plus proche du virus circulant au moment de son utilisation », reconnaît-on chez Sanofi, numéro un mondial des vaccins contre la grippe, qui en prépare une version ARNm avec Translate Bio. Les essais cliniques devraient commencer avant la fin de l’année, tout comme pour celui de Moderna. BioNTech et Pfizer arrivent derrière.

Produits thérapeutiques

Mais au-delà des vaccins prophylactiques, l’ARNm pourrait être utilisé à des fins thérapeutiques. L’adoption d’une nouvelle technologie dépend d’abord de sa faisabilité scientifique et médicale. « Notre but est aussi de transformer la médecine grâce aux ARNm thérapeutiques », s’enthousiasme Stéphane Bancel. De fait, l’ARNm permet, en théorie, de faire synthétiser par l’organisme humain n’importe quelle protéine capable d’activer ou d’inhiber des cibles biologiques.

Cancer : l’autre vaccin que tout le monde attend

Avant de s’intéresser à la prévention des maladies infectieuses, c’est d’ailleurs le cancer qui a été le premier domaine d’application de l’ARNm. Ainsi, Sanofi a-t-il noué un partenariat avec BioNTech. Mais, comme toutes les tentatives dans ce domaine jusque-là, « cela n’a pas fonctionné », reconnaît Frank Nestle, directeur de la recherche de Sanofi. « L’ARN est très immunogène, explique un expert de l’ARNm, mais il déclenche une réponse immunitaire non spécifique alors que, dans le cas du cancer, on a justement besoin qu’elle soit spécifique. »

C’est ce qui a conduit des entreprises comme BioNTech ou Moderna, à modifier l’ARNm qu’elles utilisent. Et puis, les antigènes tumoraux mutent bien plus vite que les virus, il faudrait donc pouvoir adapter le produit bien plus souvent.

Thérapie anti-cancer

Autre différence avec les vaccins prophylactiques : « Ce n’est pas la même chose de vouloir tuer des cellules, comme dans le cas du cancer, ou de vouloir seulement empêcher leur infection par un virus. Il faut alors des quantités d’ARNm bien plus importantes. » Sachant que l’ARNm seul ne suffit pas à soigner les cancers, le parti a été pris de l’associer systématiquement à une autre modalité de traitement, comme tous les types de vaccins thérapeutiques contre le cancer. BioNTech combine ainsi son ARNm avec le Tecentriq, un médicament d’immunothérapie de Roche, tandis que Moderna a opté pour le Keytruda, le produit équivalent de Merck MSD.

Sanofi, pour sa part, mise sur une autre piste : en rachetant Tidal Therapeutics, une toute jeune biotech, il espère faire produire par l’organisme sa propre immunothérapie cellulaire du cancer. Tout reste encore à démontrer, mais l’idée est particulièrement séduisante puisque, actuellement, l’un des principaux handicaps de cette catégorie de traitements est leur production. Les Novartis, Gilead et autres BMS, qui les commercialisent, doivent prélever chaque patient et traiter ses cellules individuellement avant de les lui réinjecter.

Une méthode extrêmement lourde qui se chiffre en centaines de milliers d’euros par patient. Injecter l’ARNm pour que le patient produise lui-même son traitement éviterait toute cette usine à gaz. Compte tenu de sa mise (470 millions de dollars), le risque financier encouru par Sanofi n’est pas grand, et il ajoute une technologie de plus à sa « boîte à outils » de thérapies innovantes, à côté des nano anticorps auxquels le rachat d’Ablynx lui a donné accès et auxquels elle pourrait se combiner.

D’autres domaines thérapeutiques sont en voie d’exploration. L’ARNm pourrait se faire une place dans le traitement des maladies auto-immunes où, à l’inverse du cancer, on cherche à apaiser le système immunitaire. Aucun projet n’a encore dépassé le stade préclinique. Chez l’animal, BioNTech a obtenu des résultats encourageants dans le traitement de la sclérose en plaques. Quant à Moderna, il teste une application en cardiologie, en association avec AstraZeneca. Il s’agit de faire produire par l’organisme les protéines qui suscitent la fabrication des vaisseaux sanguins pour traiter l’insuffisance cardiaque résultant d’un infarctus. Les résultats sur l’animal ont permis de tenter un premier essai chez l’homme. Un essai de phase II devrait débuter en fin d’année.

Maladies rares

Les maladies génétiques pourraient aussi, logiquement, constituer un domaine d’application. Aujourd’hui, quand il existe un traitement, il prend la forme d’une protéine manquante ou d’une thérapie génique qui vise à remplacer le gène dysfonctionnel (donc de l’ADN). Une étape entre le gène et la protéine, sous forme d’ARN, est donc imaginable, en particulier quand on n’arrive ni à produire la protéine, ni à transférer le gène. Si l’essai de phase II mené par Translate Bio contre la mucoviscidose a échoué, il devrait être renouvelé avec un ARNm amélioré. Moderna travaille aussi sur certaines maladies rares, mais son programme le plus avancé (contre l’acidémie propionique) vient juste d’entrer en phase I/II.

Parmi toutes les voies explorées au-delà des vaccins, on peut imaginer que certaines aboutiront. Mais il est impossible d’évaluer les délais de recherche et de développement, ni la place que prendra l’ARNm dans l’arsenal thérapeutique. Pour certains, c’est une révolution. Pour d’autres, comme Frank Nestle, ce ne sera qu’une modalité de traitement parmi d’autres.

Aléas de l’innovation

Le précédent de la thérapie génique constitue une très bonne illustration des aléas de l’innovation. Elle avait suscité l’enthousiasme au début des années 1990 avant de connaître une longue traversée du désert, après le décès de plusieurs personnes suite à un essai clinique. Il a fallu attendre 2012 pour que le premier produit soit autorisé. Et encore. Destiné à traiter une maladie métabolique rare incurable, le Glybera de la biotech néerlandaise UniQure a finalement été retiré du marché. En cause : un prix (1 million d’euros par patient) qu’aucun système de santé n’est prêt à rembourser.

Aujourd’hui, la thérapie génique connaît des succès mais dans des domaines ciblés comme l’ophtalmologie ou certaines maladies rares. Elle est donc loin de s’être généralisée, à la différence d’une autre innovation, l es anticorps monoclonaux aujourd’hui très largement utilisés pour soigner les cancers et les maladies auto-immunes. Après leur émergence au milieu des années 1980, ils ont accumulé les échecs dans les années 1990, avant de s’imposer grâce à des versions de plus en plus performantes dans les années 2000. Nul ne sait dans quelle catégorie se rangera l’ARNm.

Catherine Ducruet

 

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