Vivre la sclérose en plaques sous le regard de ses enfants

Dernières news

Un débat a réuni, le 27 mai à Paris, des parents atteints de sclérose en plaques, en quête de conseils sur la meilleure manière d’en parler avec leurs enfants.

Finalement, le premier témoignage, toujours le plus difficile, est venu très vite. Une main levée dans la salle et une femme d’une trentaine d’années au micro. « Ma fille a aujourd’hui 4 ans et demi et elle commence à poser des questions. Et je ne sais pas si je dois lui en parler. Elle me paraît encore si petite »…

Une première parole qui, d’un coup, libère toutes les autres. « J’ai deux enfants, 5 ans et 4 ans. Et je leur ai dit que j’avais une sclérose en plaques, raconte une autre mère. Le lendemain, la plus grande est revenue de l’école en me demandant si j’allais mourir. Et m’a posé plein de questions auxquelles j’ai répondu. Mais la petite de 4 ans, elle, ne veut pas en parler et elle ne pose aucune question. »

Comment annoncer à ses enfants que l’on est atteint d’une sclérose en plaques (SEP)?? À partir de quel âge et avec quels mots?? Et comment vivre ensuite avec cette maladie qui, d’un seul coup, devient celle de toute la famille??

« RECONNAÎTRE QU’ON EST FAILLIBLE »

Ces questions ont été, la semaine dernière, au cœur d’un atelier organisé à Paris dans le cadre d’une journée d’information et d’échange sur la SEP. L’occasion de parler de cette maladie neurologique évolutive et parfois très handicapante, qui touche entre 70 000 et 90 000 personnes en France. Des femmes dans les deux-tiers des cas, souvent jeunes.

Le plus souvent, en effet, le diagnostic survient entre 20 et 35 ans, à ce moment où la vie est faite de mille projets. « L’arrivée de la maladie va évidemment bouleverser beaucoup de choses au sein de la famille », explique Stéphanie Mille, psychologue au sein d’un réseau de prise en charge.

« Pour le parent, qui est forcément le plus grand, le plus fort, le plus beau dans le regard de ses enfants, c’est une manière de reconnaître qu’il est faillible. Et l’enjeu, pour lui, c’est de parler de la maladie, tout en faisant comprendre à l’enfant que cela ne va pas l’empêcher d’assumer son rôle de parent ni de continuer à le protéger », ajoute Anne Carré, elle aussi psychologue dans un réseau.

« JE NE SUIS PAS UNE WONDERWOMAN »

Dans la salle, ce matin, une trentaine de personnes sont venues assister à l’atelier. Des parents visiblement tétanisés, pour certains, par le poids de ce secret impossible à garder trop longtemps.

« Mes enfants ont un 1 an et 3 ans et demi, dit une mère. Et je ne sais pas quoi faire. Si je leur en parle trop tôt, à un moment où la maladie n’est pas encore visible, j’ai peur que cela soit inutilement anxiogène. Mais si j’attends trop, ils risquent un jour de prendre tout cela de plein fouet. »

Des mots plein d’émotions contenues et de chagrins en embuscade. « Dire la maladie, c’est avouer à ses enfants que leur maman n’est pas wonderwoman », dit l’une. « Il y a un mois, j’ai eu une poussée très violente de la maladie. Et d’un seul coup, je suis passée d’une mère hyperactive au travail et à la maison à une mère qui reste couchée toute la journée. Au début, ma fille de 9 ans l’a mal vécue. Un jour, en rentrant, elle m’a dit?: ‘‘mais aujourd’hui encore, tu n’es pas allée travailler??’’ Mais cela nous a permis d’en parler, de lire ensemble un livre sur la maladie. Et depuis, cela va mieux. »

 

« DIRE POUR RASSURER »

Au moment de l’annonce, tous les enfants ne réagissent pas de la même manière. Certains posent des questions en rafale?: est-ce que je vais tomber malade moi aussi?? Est-ce que cela se guérit?? Est à cause de moi que tu es malade?? Est-ce que tu vas mourir??

« Dire les choses, cela rassure les enfants. Il faut donc leur expliquer qu’on ne meurt pas de cette maladie, qu’elle n’est ni contagieuse, ni héréditaire. Et que si on ne guérit pas, il y a des traitements qui permettent d’aller mieux », explique Anne Carré.

« NE PAS IMAGINER CE QUI N’EXISTE PAS »

Dire la vérité, c’est aussi aider l’enfant à ne pas imaginer des choses qui n’existent pas. « L’enfant va forcément constater que quelque chose a changé dans la vie de son parent », explique Stéphanie Mille. « Et si le parent garde le secret trop longtemps, il va peut-être puiser dans son imagination des explications à ce changement qu’il ne comprend pas. Et le risque est qu’il imagine des choses complètement à côté de la réalité. »

Ne rien dire sur la maladie pourra aussi être vécu par certains enfants comme un manque de confiance. « Ils vont se dire que si leurs parents gardent le secret, c’est parce qu’ils le jugent incapable d’entendre et de comprendre ce qui se passe », ajoute la psychologue.
Après l’annonce, les enfants font le plus souvent preuve de courage et de bienveillance. « Mon fils de 9 ans est très pré venant. Il n’arrête pas de me dire?: maman, assieds-toi ou maman, repose-toi », confie une mère. Des enfants aux petits soins mais qui doivent comprendre la nécessité de ne pas s’investir dans un rôle de soignant. Ni, surtout, s’imaginer qu’ils vont pouvoir guérir leur parent.

« C’est très important de leur dire que vous n’êtes pas seul face à la maladie, explique Anne Carré. Il ne faut pas hésiter à leur parler de l’hôpital et des gens qui vous soignent. De leur montrer, par exemple, une photo de votre neurologue sur Internet. Vos enfants sauront alors qu’il y a des gens qui s’occupent de vous et de votre santé. Et que ce n’est pas à eux de le faire. »

« PARFOIS, IMPOSSIBLE D’EN PARLER »

Parfois, il arrive aussi que certains enfants réagissent par le silence et une indifférence de façade. Pas un mot, pas une question. Et un refus constant de tout dialogue autour de cette nouvelle qui fait que, d’un seul coup, rien n’est plus tout à fait comme avant. « Il faut alors respecter son désir de ne pas en parler, qui est pour lui une manière de se protéger.

Le plus important, c’est surtout de laisser la porte ouverte parce que, souvent, les questions finissent par venir d’elles-mêmes », explique Anne Carré.

Autre sujet visiblement sensible?: la vie avec la maladie face à un adolescent. « Je ne sais plus comment faire avec ma fille de 15 ans, dit une mère. À chaque fois que je dis que je suis fatiguée, elle me lance??: mais arrête, tu nous ”saoules” avec ta maladie… »

Autre témoignage, lancé comme un appel au secours. « Mon ado de 15 ans dit que je suis pénible, que je me plains tout le temps, que je rapporte tout à ma maladie. Du coup, je n’ose plus en parler. Et à la maison, c’est comme si ma sclérose en plaques n’existait pas… »

« ON VEUT LA VÉRITÉ »

Puis, dans cet océan de désarroi, un contrepoint?:« J’ai deux fils de 14 et 16 ans et cela se passe plutôt bien. Quand je rentre très fatiguée, je leur dis?: “Ce soir, je ne fais rien.” Et, du coup, ils s’occupent de tout, du dîner, de la vaisselle… On fait cela aussi pendant les vacances. C’est presque devenu un jeu entre nous. »

Autant de récits que les deux psychologues écoutent avec attention.« C’est souvent compliqué pour ces enfants qui ont grandi avec votre maladie, explique Anne Carré.

L’adolescence, c’est le moment où ils doivent se séparer de vous, prendre leur autonomie, avoir leur propre vie sociale… Et cette évolution, évidemment légitime à l’adolescence, peut être difficile à affronter pour eux. Car s’autonomiser, c’est aussi, du coup, vous laisser vivre de plus en plus seule avec votre maladie. »

Une heure de débat qui, au bout du compte, semble avoir fait du bien à ces parents un peu déboussolés. Ils partiront sur ces derniers mots d’Anne Carré?: « Quand on interroge les enfants sur ce qu’ils aimeraient entendre sur la maladie de leur parent, ils répondent très souvent?: “On veut la vérité mais avec des mots gentils”… »
PIERRE BIENVAULT

Diminuer - Augmenter