La folle dérive des globules blancs

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Source : Le nouvelliste.ch

La folle dérive des globules blancs

Maladie auto-immune potentiellement très invalidante, la sclérose en plaques frappe quelque quatre cents personnes en Valais.

Un halo de mystère auréole la sclérose en plaques.
Pour des raisons encore inconnues, le système immunitaire, comme saisi d’ivresse, entre en dérapage incontrôlé. Des globules blancs attaquent le système nerveux central, rongent les gaines des fibres nerveuses dans le cerveau et la moelle épinière. A la clé: des dommages collatéraux massifs. Aujourd’hui, on n’en guérit pas. Mais la médecine dispose d’un arsenal thérapeutique apte à contenir la progression du mal. Dossier en deux volets, avec le Pr Joseph Ghika, neurologue au CHUV à Lausanne et au RSV à Sion.

Qu’entend-on exactement par sclérose en plaques (SEP)?
Il s’agit d’une maladie inflammatoire du système nerveux central dite autoimmune.
Le système de surveillance immunitaire se méprend à s’attaquer à la substance blanche du cerveau et de la moelle épinière, mais pas des nerfs périphériques de l’individu qu’il est censé protéger. C’est une affection fréquente, qui démarre pour l’essentiel chez les jeunes entre l’adolescence et 40 ans. Les
formes tardives sont rares.

Pourquoi la maladie démarre-t-elle dans cette fourchette d’âge?
Personne ne le comprend. Dans la sclérose en plaques, les globules blancs du malade attaquent la myéline, une gaine protectrice de graisse qui entoure les
fibres nerveuses – comme le plastique des câbles électriques, pour en accélérer la vitesse de propagation du courant. Or il semble qu’il faut attendre que la myéline atteigne un certain degré de maturité pour que débute cette action autodestructrice des anticorps.

Comment se traduit la maturation de notre myéline?
Eh bien c’est par exemple parce que la myéline est encore immature que le petit enfant marche mal, ne coordonne pas tout à fait correctement ses mouvements. C’est aussi parce que la myéline de ses lobes frontaux est immature que le jeune enfant est désinhibé vis-à-vis de l’adulte. La myéline devient mature aux alentours de 15 ans. Donc, jusqu’à 15 ans, nous sommes épargnés par la SEP?
Oui. Attention: on observe dans de rares cas que la maladie commence plus jeune. Mais on pense qu’il s’agit d’une forme particulière de SEP.

Pourquoi la sclérose en plaques est-elle une maladie auto-immune?
La réponse n’est pas claire. Dans de rares cas (10 à 20%), un facteur génétique, héréditaire, est en cause. Sinon, dans la majorité des cas, un facteur environnemental serait impliqué mais intervenant sur un terrain génétique facilitateur.

Quel facteur environnemental serait impliqué?
Là encore, on ne le sait pas vraiment. Il s’agit probablement d’un virus ou d’un parasite, une infection banale contractée probablement plus tard que durant l’enfance et qui déclencherait la maladie, en déréglant le système immunitaire pour donner naissance à une réponse auto-immune anti-myéline. Par ailleurs, on observe que la SEP sévit dans les pays tempérés. Les gens qui naissent près de l’équateur sont épargnés. Pourquoi? Là encore, mystère. Cela dit, lorsque vous êtes né en Afrique Equatoriale et que vous venez dans un pays tempéré, vous aurez le même risque de développer une sclérose en plaques que si vous étiez né dans le nord. Ce fait démontre que la SEP est déclenchée par un facteur environnemental acquis.

Que provoque la réponse auto-immune?
Le propre système immunitaire du malade – plus précisément des globules blancs, les lymphocytes T – va attaquer la substance blanche – myélinique – du système nerveux central à certains endroits, notamment autour des ventricules cérébraux, dans le cervelet, le tronc cérébral et la moelle épinière. Cette attaque génère des plaques de démyélinisation, visibles à l’IRM: les gaines de myéline s’enflamment, sont détruites, puis réparées avec cicatrisation à la clé. Conséquence: au niveau de ces lésions, le courant électrique qui passe dans les fibres nerveuses est ralenti, voire bloqué. Ce qui explique pourquoi la SEP se traduit par des troubles de la vision, de la marche, etc.

Ces troubles sont-ils passagers?
Au début oui. Ensuite, après plusieurs poussées inflammatoires, sans traitement, les dégâts deviennent définitifs. Les gaines de myéline ne sont plus réparées, il y a perte de volume au niveau du cerveau, une atrophie. On passe de la forme inflammatoire de la maladie à une forme dégénérative chronique.

Existe-t-il plusieurs types de SEP?
C’est exact. Dans sa forme «classique» – environ 80% des cas – la maladie évolue initialement par poussées, suivies de rémissions. Une première poussée va provoquer les premiers dégâts. Mais il y aura récupération: le «compteur» est remis à zéro, jusqu’à la prochaine poussée. Puis il y aura progressivement des régressions incomplètes, puis une disparition des poussées et une évolution secondairement progressive.
Par ailleurs, il existe un deuxième type de SEP, marqué d’emblée par une évolution dégénérative lentement progressive permanente. Il s’agit de 10 à 20% des cas, pour lesquels il n’y a hélas aucun traitement disponible à l’heure actuelle.

Comment établissez-vous le diagnostic?
Pour établir le diagnostic d’une SEP classique, il faut d’abord attendre la deuxiè-me poussée de la maladie. Au début, on fera un examen IRM du système
nerveux central, pour rechercher les plaques inflammatoires, qui doivent être disséminées dans le cerveau et la moelle (dispersion spatiale).
Puis on pratiquera une ponction lombaire, pour mettre en évidence un aspect montrant plusieurs pics d’immunoglobulines, les Ig G, qui constituent un témoin supplémentaire de l’existence d’un processus inflammatoire dans le système nerveux, si leur présence ne se retrouve pas dans le sang. Ensuite il faudra avoir l’évidence d’une ou de plusieurs poussées dans le temps, par l’histoire ou l’imagerie (dispersion temporelle). Moyennant quoi, on obtient un diagnostic sûr à 90, voire 95%.

Pourquoi cette incertitude?
Il faut souligner que de nombreuses affections sont susceptibles de ressembler à la SEP. Entre autres la borréliose de Lyme, une forme de maladie inflammatoire multifocale sans récidive qui accompagne le décours d’une maladie virale, ou des maladies inflammatoires touchant plusieurs organes (vasculites…) par exemple.
Il y a ressemblance des symptômes, mais l’évolution est différente de celle de la sclérose en plaques classique.

7 octobre 2010 – BERNARD-OLIVIER SCHNEIDER

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